LA CHARGE DES MALADIES PROFESSIONNELLES

Communiqué de presse OMS/31
8 juin1999

L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'Organisation internationale du Travail (OIT) ont aujourd'hui lancé un appel en faveur de mesures immédiates répondant à la fois à un souci d'éthique et de rentabilité économique et visant à améliorer les conditions de travail des quelque 2,5 milliards d'actifs dans le monde. En effet, si ces conditions ne sont pas améliorées, les gouvernements, selon les deux organisations, vont au-devant de problèmes graves et coûteux.

Cette mise en garde fait suite à la Conférence internationale sur la santé au travail, qui s'est ouverte lundi à Helsinki (Finlande).

Selon l'OMS et l'OIT, la charge mondiale des maladies et traumatismes professionnels risque d'augmenter considérablement au cours de la première moitié du siècle prochain. Parmi les facteurs qui contribuent au phénomène, il y a le transfert toujours croissant des procédés industriels vers les pays en développement et une meilleure notification des maladies et traumatismes professionnels dans le monde entier.

"Pour la santé professionnelle, les tendances à la mondialisation du commerce comportent certains risques", a déclaré le Dr Richard Helmer, Directeur responsable de la médecine du travail à l'OMS. "Par exemple, afin de réduire les coûts, on réinstalle des activités industrielles, avec les risques pour la santé qui leur sont inhérents, dans les pays en développement - où se trouvent 75% de la population active mondiale."

"Le problème, a poursuivi le Dr Helmer, vient de ce que beaucoup de ces pays ne disposent pas de l'infrastructure technique et sociale nécessaire pour protéger leur population, active ou inactive, contre les risques de caractère physique, chimique, biologique, psychosocial ou ergonomique. Par conséquent, ce qui apparaît aujourd'hui comme une bénédiction du point de vue économique peut conduire demain à une dégradation considérable de l'état de santé des travailleurs des pays en développement."

Les éléments dont on dispose montrent déjà qu'un peu partout dans le monde des centaines de millions de personnes travaillent dans des conditions d'insécurité et qui peuvent conduire à des problèmes de santé. Selon le Dr Jukka Takala, Chef du Programme de santé et sécurité à l'OIT, on estime que, chaque année, les traumatismes et les maladies liés au travail provoquent 1,1 million de décès dans le monde, c'est-à-dire à peu près autant que le paludisme. "Ce chiffre, a-t-il ajouté, comprend quelque 300 000 morts consécutifs aux 250 millions d'accidents du travail annuels, lesquels conduisent souvent à une perte partielle ou complète de la capacité de travailler et de gagner sa vie. »

A l'heure actuelle, on estime à 160 millions le nombre de nouveaux cas annuels de maladies liées au travail dans le monde; il s'agit notamment de maladies respiratoires et cardio-vasculaires, de cancers, d'atteintes auditives, d'atteintes ostéo-articulaires et musculaires, de troubles de la reproduction et de maladies mentales et neurologiques.

Plus de 50% des travailleurs dans les pays industrialisés se plaignent aujourd'hui du stress au travail. Le stress professionnel et la surcharge de travail ont été associés à des troubles du sommeil et à une dépression. On dispose de suffisamment d'éléments scientifiques pour penser qu'une exposition prolongée à un stress professionnel est associée à plusieurs types de problèmes de santé chroniques, y compris les maladies cardio-vasculaires - surtout l'hypertension -, les atteintes ostéo-articulaires et musculaires et les troubles psychologiques. Aux Etats-Unis d'Amérique, par exemple, les dépenses consacrées aux soins de santé par les personnes qui se disent très stressées au travail sont près de 50% supérieures à la moyenne.

Le coût des maladies et traumatismes professionnels est énorme. Il ressort de rapports nationaux et internationaux qu'en 1997, les pertes économiques globales résultant des maladies et des traumatismes liés au travail équivalaient à 4% du PNB mondial. En 1992, les coûts directs et indirects associés aux traumatismes et maladies liés au travail aux Etats-Unis d'Amérique ont été estimés au total à US $171 milliards, c'est-à-dire plus que ceux du SIDA et autant que ceux du cancer et des cardiopathies. En 1994, on a estimé le coût global pour l'économie britannique de tous les accidents du travail et problèmes de santé liés à l'activité professionnelle entre 6 et 12 milliards de livres sterlings.

L'OMS et l'OIT reconnaissent que l'évaluation de la charge mondiale des maladies et traumatismes professionnels est difficile. Les données fiables concernant la plupart des pays en développement sont rares, principalement du fait de carences concernant le diagnostic des maladies professionnelles et les systèmes de notification. L'OMS estime par exemple qu'en Amérique latine 1 à 4% seulement des maladies professionnelles sont signalées.

On rencontre deux principaux problèmes dans beaucoup de pays: le peu d'empressement à reconnaître l'origine professionnelle de certains traumatismes ou problèmes de santé et l'absence de notification lorsque les problèmes sont reconnus. L'histoire de la médecine du travail est celle d'une lutte que se sont constamment livrée d'un côté les travailleurs, soucieux d'assurer leur protection et de faire prendre des mesures préventives ou compensatoires, et de l'autre les employeurs, cherchant à nier ou à limiter leur responsabilité face aux maladies et traumatismes liés à l'activité professionnelle. Ce conflit a fortement conditionné la notification des données et, de ce fait, la charge de morbidité due à l'exposition professionnelle est généralement sous-estimée.

Selon l'OMS et l'OIT, la situation est en train d'évoluer et un effort international majeur sera consenti pour relever le défi et mettre en place un système de notification plus fiable pour la santé professionnelle au XXIe siècle.

Les deux organisations ont également fait valoir qu'au cours des 30 à 40 prochaines années, le vieillissement de la population (avec une diminution des naissances et le fait que les gens vivent plus longtemps) pourrait modifier le rapport entre actifs et retraités dans certains pays industrialisés. Par exemple, en 2040, la France devrait compter 70 personnes de plus de 60 ans pour 100 entre 20 et 59 ans, c'est-à-dire près de deux fois plus qu'aujourd'hui. Le déficit de la sécurité sociale et du régime des retraites en France devrait passer du même coup à quelque FF 800 milliards (US $130 milliards).

L'OMS et l'OIT affirment que les tendances actuelles de la santé professionnelle doivent être infléchies aussi bien dans l'intérêt des travailleurs que dans celui des employeurs. On y parviendra si la recherche d'une productivité et d'une rentabilité accrues tient également compte des impératifs de la sécurité et de la santé au travail.